Par Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, avocate
Lors de son discours de Marseille, le président de la République a affirmé que la politique à venir serait écologique. Il s’agit incontestablement d’une rupture annoncée avec le quinquennat qui s’achève, marqué par une forte régression du droit de l’environnement, comme l’a parfaitement analysé le commissariat général au développement durable.
Au-delà des engagements, dont chacun sait qu’ils n’engagent que ceux qui y croient, que serait une politique dont l’écologie serait effectivement la priorité ?
C’est tout d’abord une révolution dans la manière de prendre les décisions et dans les décisions elles-mêmes. Aucune décision, dès lors qu’elle ne serait pas favorable à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, à la santé humaine ou à la préservation de la biodiversité, ne devrait être prise. Cela signifie donc d’abandonner tous les grands projets inutiles de contournement de ville, d’élargissement d’autoroutes et de structures diverses et variées dont l’impact est négatif. Cela signifie aussi d’arrêter de privilégier les intérêts économiques sur ceux de la santé, en interdisant les produits toxiques - en particulier les pesticides-, ce qui signifie alors de financer le monde agricole pour lui permettre cette transition. Cela signifie de faire de la lutte contre la pollution de l’air dans les villes une priorité absolue avec les politiques de mobilité et de renaturation que cela implique. Cela signifie de mettre un terme effectif à l’artificialisation des sols et de cesser de refuser de voir, dans la compensation écologique, la troisième phase de la séquence éviter réduire compenser comme la bonne solution ; d’ailleurs, l’évolution actuelle de la taxonomie européenne rendra impossible le financement de ce type d’action comme activité durable. Cela signifie d’arrêter de déverser des milliards d’euros pour subvenir aux activités fossiles et de récupérer ces sommes pour une politique écologique.
C’est bien-sûr un changement de politique majeur en matière énergétique. Sans revenir sur le débat nucléaire - pour ma part, je suis convaincue que la réalité économique et financière aura raison des annonces irrationnelles que nous avons entendues - la massification du recours aux énergies renouvelables n’est plus une option. C’est un impératif qui doit se traduire par la levée de tous les freins qui existent aujourd’hui au recours au solaire et à l’éolien. Autre frein à lever : la rentabilité de l’autoconsommation collective ; les inventions d’ordre fiscal et juridique destinées à brider ces pratiques éminemment favorables aux collectivités locales comme aux individus doivent disparaître. La planification ne doit en aucune manière être une nouvelle trouvaille de la technocratie énergétique pour bloquer les initiatives des particuliers, des entreprises et des collectivités territoriales. Elle doit au contraire servir la mise en perspective des objectifs et des moyens pour y parvenir Ces différents domaines sont ceux dans lesquels la réindustrialisation de la France doit être une priorité absolue. Il est temps que les entreprises les plus dynamiques retrouvent l’envie d’investir en France et non pas seulement à l’étranger, au motif que dans l’hexagone, tout ce qui touche à l’énergie renouvelable est a priori bloqué. L’agriculture, secteur essentiel à notre autonomie alimentaire, énergétique et chimique (avec la chimie verte), doit retenir toute notre attention. Le carbon farming, à savoir la mise en œuvre de la capture de carbone par une agriculture régénératrice, est une occasion formidable de financer la transition en assurant un revenu aux agriculteurs grâce aux tonnes de carbone stockées.
La prévention sanitaire, c’est-à-dire la reconnaissance du caractère majeur du lien santé environnement sur le développement de nombre de pathologies, y compris le mal de vivre, est indispensable. Ce qui suppose d’admettre de rechercher les causes avec une véritable politique de registres de malformations congénitales et de cancer permettant d’établir des corrélations ; cela signifie de mettre enfin en place une politique de culture du risque qui implique la transparence sur les risques auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
L’adaptation au dérèglement climatique doit devenir équivalente aux politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous commençons à y venir avec les nouvelles politiques de trait de côte. Mais c’est tout le système de l’assurance et du financement des transferts d’activité et d’habitations qui doit être pensé, en même temps que celui de l’adaptation dans des villes de plus en plus menacées par la chaleur et la sécheresse. Un meilleur partage de l’eau, un paiement à son juste prix, qui ne repose pas quasi exclusivement comme aujourd’hui sur les consommateurs privés et individuels, est indispensable.
Ces transformations ne peuvent être possibles qu’à trois conditions :
• la première est celle de la redistribution des richesses. Il ne peut y avoir de transition écologique sans réduction des inégalités actuelles et répartition des efforts, en fonction des revenus et des émissions réelles de gaz à effet de serre. Pour avoir oublié le volet social, la taxe carbone a été un échec complet. Pourtant, il faudra y revenir, quitte à ce qu’un budget carbone de base soit offert à chacun, de même qu’une nouvelle forme de sécurité sociale écologique,
• la seconde est celle d’un nouveau partenariat public/privé. Nombreuses sont les entreprises qui aujourd’hui s’investissent réellement dans la transformation, qu’il s’agisse du mouvement des entreprises à mission ou de toutes celles qui sont sorties du greenwashing pour s’engager réellement dans la RSE. Il est temps que ce soient ces entreprises-là qui deviennent les partenaires privilégiés de l’État et non plus celles qui sont le support de l’ancienne économie,
• la troisième est celle de la transformation institutionnelle et juridique. Le quinquennat qui vient de s’écouler a été celui de la déconstruction systématique de la démocratie environnementale, au mépris du droit communautaire et de la convention d’Aarhus. Il nous faut adopter la démarche inverse et organiser une réelle concertation, voire une co-construction, des projets avec ceux qui seront concernés, à commencer par les riverains. Cette reconstruction des projets peut aller jusqu’à une prise de participation des individus ou des collectivités qui le souhaitent au capital des projets mis en œuvre, seule condition d’une véritable acceptabilité. Plus généralement, nos institutions doivent être repensées à la lumière de la transition. La Jupitérisation des institutions, qui a tué les contre-pouvoirs, est une catastrophe à tous points de vue. Non seulement, il faut rendre beaucoup plus de pouvoir aux territoires car c’est là que se fait la transition ; mais encore et surtout, l’équilibre des pouvoirs au niveau central doit être modifié pour renforcer le Parlement et probablement transformer le CESE pour en faire un représentant de la société civile et des générations futures doté de réels pouvoirs. Au niveau gouvernemental, dans chaque ministère, un contrôleur de la transition devrait être doté de pouvoirs équivalents à ceux des contrôleurs d’État qui dépendent du ministère des Finances. Ce contrôleur de la transition, qui dépendrait du ministère du même nom, pourrait bloquer tout projet et toute décision incompatibles avec les priorités écologiques.
De nombreux autres sujets mériteraient d’être traités comme l’éducation, mère de toutes les réformes, l’organisation des entreprises, les médias et la communication.
En réalité, nous avons une révolution à accomplir. La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons le faire. La mauvaise, c’est que nous avons très peu de temps pour réussir.